A dévorer !

« Comme elle l’imagine », Stéphanie Dupays : comment aimer à l’ère des réseaux sociaux ?

Quel plaisir de retrouver Stéphanie Dupay, trois ans après son premier roman Brillante en 2016 (sur la réussite sociale et les limites de l’ascension lorsque l’on est une femme à l’origine modeste). Et quel heureux hasard de découvrir ce nouveau roman à peine un mois après la sortie au cinéma de l’adaptation du roman de Camille Laurens, Celle que vous croyez, sur les affres amoureuses des réseaux sociaux. La même thématique traitée en 2019 par Stéphanie Dupays : l’amour à l’ère des réseaux sociaux. Nouvelle manière de s’approcher, de se jauger, de parader, de fantasmer et, peut-être, à la fin, de s’aimer…

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Ainsi, Laure, une brillante chercheuse et spécialiste de la linguistique flaubertienne, est maître de conférence à l’université. Séparée depuis plus d’un an de son précédent compagnon, avec qui elle est restée dix ans, Laure peine à rencontrer quelqu’un dans son cercle d’amis, déjà constitué et sans perspective de nouvelles têtes à découvrir. Alors, lorsque l’occasion lui est donnée de s’inscrire sur Facebook, Laure franchit le pas.

« Elle avait reconnu que oui, c’était pratique, et avait commencé à trouver exaltantes ces communautés électives se rassemblant autour d’un centre d’intérêt. L’alibi culturel, c’était le prétexte qu’elle avançait pour justifier les heures qu’elle passait désormais à naviguer de page en page. Mais Laure était assez lucide sur elle-même pour savoir que la vraie raison de son addiction naissante aux réseaux sociaux était ailleurs : Facebook matérialisait ce fantasme inavouable, écouter derrière les portes et pénétrer dans la vie des gens. » (p.24-25)

Au début, Laure tâtonne. Mais, progressivement, ses posts spirituels et emprunts d’une grande culture, tant littéraire que cinématographique ou encore musicale, amènent de nouveaux contacts avec lesquels elle se lie. Dont un certain Vincent, un réalisateur de documentaires et adepte des mêmes références que Laure. Assez rapidement, les échanges s’enchaînent, les likes se succèdent et les messages privés prennent le relai. Laure se surprend à attendre avec une fébrilité inconnue les messages de Vincent : le temps se suspend et l’addiction, doublée de l’exclusivité, grandit. Toute la vie de Laure se tourne petit à petit vers le virtuel.

« Laure scrutait le sens caché de chaque image, de chaque texte mis en ligne par Vincent, à la recherche d’un clin d’œil, d’un message codé, d’une complicité. Car rien n’empêchait Laure de penser que tous ces signes lui étaient secrètement destinés. » (p.21)

Cependant, pourquoi Vincent tarde-t-il tant à l’inviter à se rencontrer, alors que l’osmose virtuelle semble bien réelle ?

« le contraste entre l’abondance de messages échangés et le peu d’empressement à l’égard d’une rencontre physique déroutait Laure. » (p.51)

Tous les voyants semblent verts. Y aurait-il une autre femme dans la vie de Vincent ? Alors, inlassablement, Laure scrute chaque photo, chaque post de la page Facebook de Vincent, prêtant à toute voix féminine une intention pouvant lui nuire à elle, Laure.

« Elle commençait à se demander si elle ne devenait pas folle, mais, loin de freiner ses délires imaginatifs, la lucidité ajoutait aux douleurs de la jalousie celles liées à la conscience de se perdre elle-même. Dans un sursaut de bon sens, elle se déconnecta et tenta de se concentrer sur son cours de méthodologie pour les première année. » (p.69-70)

Laure met progressivement sa vie sociale de côté, prête une attention chaque jour moindre à la qualité de son travail : à la place, elle passe des heures sur son téléphone ou son ordinateur, guettant un nouveau message de Vincent, selon le bon vouloir de ce dernier.

« Laure avait des mots d’amour mais pas les preuves : Vincent n’évoquait jamais de date pour une prochaine rencontre. Et ce décalage entre les paroles et les actes la perturbait. Les messages maintenaient un lien entre eux, mais ils rendaient aussi la distance plus palpable et transformaient Vincent en une divinité inaccessible. » (p.103)

S’agirait-il d’un amour à sens unique ? d’une relation virtuelle et mensongère ? Vincent jouerait-il avec Laure ? Peut-on aimer réellement et sans suspens à l’ère du 2.0 ? Les réseaux sociaux sont-ils, à l’ère de Tinder, des miroirs aux alouettes ? Qu’est-ce qu’aimer à l’heure des réseaux sociaux ? Laure ne serait-elle pas la victime du piège de son propre fantasme ?

« Elle avait inventé toute une histoire à partir d’une hypothèse erronée. » (p.78)

« Face à son béguin virtuel, ces hommes n’avaient aucune chance car ils étaient réels alors que Vincent était une idée façonnée par Laure à l’image exacte de son désir. » (p.89)

Comme elle l’imagine est un roman extraordinaire, qui questionne à merveille le prisme du virtuel sur nos relations. L’écriture est brillante et les références culturelles témoignent d’un bel et grand esprit. Plus que jamais, découvrez Stéphanie Dupays. Et vivement le troisième roman !


Comme elle l’imagine, Stéphanie DUPAYS, éditions Mercure de France, 2019, 157 pages, 16€.

 

 

 

 

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