M. crève d’amour. Depuis toujours. Elle, l’enfant que l’on n’a pas aimée. Elle, l’enfant à qui on n’a pas appris à aimer.
« Je manque d’amour ; je ne nomme pas ce manque, je ne le connais pas. » (p.16)
Alors, cette béance, elle va la combler. C’est une évidence, une certitude : elle passera sa vie à aimer.
« J’ai choisi de consacrer ma vie à aimer. » (p.118)
Ce n’est qu’à l’université qu’elle rencontre M. La révélation. L’évidence. Ce sera lui. Elle va alors tout faire pour que M l’aime, à son tour. Elle, c’est acquis : elle passera sa vie à l’aimer.
» M me salue et je scelle un pacte avec moi-même. M sera à moi. Je jure de l’aimer à en crever. » (p.21)
Tout entière à son amour, la jeune femme est exclusive, possessive : sa vie n’a de sens qu’à travers M. Alors, elle met sa propre vie entre parenthèses et l’attend, lui, le journaliste qui fait son trou à Paris. Une abnégation consentie et assumée : elle est née pour aimer.
« Je l’aime simplement. Complètement. Pas de doutes, de mystère, de vide. Il comble tout. J’en deviens ridicule. Personne n’aime le ridicule. Comment peut-on aimer autant ? Je suis dépendante et je le reconnais. Je ne suis pas saine, pas claire, complètement déglinguée mais je l’aime. » (p.32)
Même si son quotidien est triste à pleurer, vivre dans l’ombre de l’idole qu’elle a choisie lui suffit. Mais le danger rôde : ses beaux-parents, la collègue trop avenante… Autant de menaces d’aimer moins fort même si M semble aimer encore.
Cette exigence d’amour questionne les limites du don de soi : jusqu’où la jeune M peut-elle aller dans sa dévotion pour son M ? Peut-elle se perdre elle-même à trop vouloir aimer ?
« T’aimer est mon cadeau ; m’aimer est ton fardeau. » (p.195)
Dans ce roman initiatique d’une femme exclusivement amoureuse, quelle place auront le mariage, la maternité et la vieillesse ?
Peut-on décemment aimer jusqu’à en perdre la raison ?
Le quatrième roman de Loulou Robert est sublime. J’ai été emportée par le phrasé saccadé de chaque page qui suggère cette urgence à aimer. L’amour, une fulgurance, et le martèlement des mots de faire sentir les pulsations de ce cœur qui ne raisonne qu’à l’amour.
Le récit questionne la sacralisation de l’être aimé doublée la dépossession de soi : peut-on trop aimer ? Y a-t-il une mesure en amour ?
« J’ai en tête et pour seule raison d’être que seul l’amour ne finira jamais. » (p.225)
Je l’aime est plus que jamais un tourbillon narratif de poésie (cette beauté des formules qui en peu de mots disent tout), de violence et de folie. Une ode sublimement moderne à l’amour. On tourne la dernière page bouleversés : si M a succombé à l’addiction à son M, nous lecteurs avons succombé à cette radiographie d’un cœur avide et à vif d’aimer.
Longue vie à ce roman ! Loulou Robert, à tout jamais, je vous admire.
Je l’aime, Loulou ROBERT, éditions Julliard, 2019, 260 pages, 19€.
On m’a déjà conseillé de lire cette auteure et ce roman m’attire beaucoup. Ta critique (très jolie) ne fait que que confirmer mon envie ! Merci 🙂
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Merci beaucoup ! J’ai été emportée par la virtuosité du roman : une grande claque et un énorme coup de cœur !
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C’est ce que j’ai vu ! J’ai fait une demande de service de presse dessus sur NetGalley mais ça doit faire un mois… je pense que c’est mort !
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