A croquer

« Une famille presque parfaite », M.T. Edvardsson : le sens du sacrifice moral

La jeune Stella Sandell est, à dix-neuf ans, une personne de caractère qui a du mal à supporter toute contrainte et qui, par un solide esprit de contradiction, n’hésite pas à provoquer quiconque s’oppose à elle.

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Cet esprit fougueux a donné, durant toute son adolescence, du fil à retordre à ses parents, Adam et Ulrika. Ces derniers ont, pendant des années, été les témoins impuissants des frasques de leur fille. Toutes leurs louables initiatives n’ont jamais donné grand chose…

Alors, lorsque la police vient arrêter Stella pour le meurtre d’un homme d’affaires de trente-deux ans, Christopher Olsen, c’est l’épreuve de trop qui s’annonce pour Adam et Ulrika. Pourtant, ils doivent faire front et dépasser les regards accusateurs dirigés contre eux. Il faut dire qu’en tant que pasteur et avocate, Adam et Ulrika ne peuvent pas vraiment dire que leur fille honore la respectabilité de leur vocation professionnelle.

« Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai compris que notre famille n’était pas la seule à avoir des secrets. Il avait toujours été crucial pour mon père de garder une façade au regard du monde. […] J’ai été bercée dans la croyance que notre famille était unique, que nous étions les seuls à nous trimballer toute cette merde qu’il fallait cacher sous le tapis. Peut-être était-ce à cause de la profession de papa. Un pasteur est sans doute tout simplement condamné à vivre une partie de sa vie privée en cachette. » (p.234)

Stella est incarcérée. L’épreuve est d’une grande violence pour la jeune femme. De leur côté, ses parents vont remuer ciel et terre pour la disculper et tenter de comprendre les arcanes de ce qui s’annonce comme une histoire trouble. Quitte à se confronter à l’éthique de leur profession respective…

« Des choses qu’on croit ne jamais être capable de faire semblent soudain évidentes quand il s’agit de protéger son propre enfant. » (p.497)


Avec ce premier roman traduit en français, M. T. Edvardsson signe un redoutable page-turner grâce à de courts chapitres ainsi qu’à la succession des voix narratives. Ainsi, on a tout d’abord le récit des événements vus par Adam, puis la vision de Stella et enfin les derniers éléments du puzzle donnés par Ulrika. En cela, ce choix de structure souligne pertinemment la thématique du titre.

Bien évidemment, la recherche de la vérité est le fil conducteur du roman, en en faisant un bon moment de lecture. On regrettera d’ailleurs au passage le manque de crédibilité d’un Adam qui cherche à faire justice lui-même en se payant le culot d’aller chez les témoins du meurtre.

Néanmoins, au-delà de cette thématique policière, c’est avant tout un portrait de famille que nous propose M.T. Edvardsson en questionnant les relations filiales et le déséquilibre qu’il peut parfois y avoir entre un enfant et ses parents, selon la proximité qui s’établit avec l’un plutôt qu’avec l’autre. De même, l’auteur s’interroge sur la parentalité : qu’est-ce qu’être un bon parent ?

« Nous avions placé la barre très haut en prétendant être les meilleurs parents que nous pouvions pour notre enfant, mais nous n’avons pas été à la hauteur de nos ambitions. » (p.29)

« je suis toujours indéfectiblement convaincu qu’il n’est rien de plus difficile que d’être parent. Toutes les autres relations ont une issue de secours. On peut quitter un partenaire, c’est arrivé à la plupart, quand l’amour s’épuise, quand on s’éloigne l’un de l’autre, ou quand le cœur n’y est plus. On peut laisser des amis ou des connaissances sur le bord du chemin, des membres de sa famille, même ses frères et sœurs ou ses parents. On peut les laisser et continuer sa route, s’en sortir quand même. Mais son enfant, on ne peut jamais l’abandonner. » (p.72)

Doit-on culpabiliser de ne pas voir grandir son enfant selon les désirs que l’on a pour lui ? Quelles sont les limites du sacrifice parental ? Pour répondre à ces différentes questions, M. T. Edvardsson multiplie les analepses et c’est alors toute la genèse d’une famille qui nous est donné à lire.

Plus encore, il me semble que le roman propose une réflexion sur le don de soi lorsqu’il s’agit de sauver l’honneur de ceux que l’on aime, que ce soit dans la sphère amicale ou dans le cadre familial : tous les personnages du roman sont confrontés à un choix moral qui leur est propre. Le dilemme réactualisé au XXIe siècle : il faut croire que cela fonctionne efficacement.

Enfin, l’émancipation apparaît comme la dernière clé qui permet d’éclairer la riche trame narrative du roman : Stella, en premier lieu, tente de s’affranchir, dès son adolescence, du carcan dans lequel elle se sent prisonnière, quitte à se brûler les ailes à de multiples reprises ; ses parents tentent eux de s’émanciper du carcan moral que leur imposent leurs professions. Mais la liberté a un prix, non ?

« Je me suis endormi avec une grosse boule dans la poitrine à cause du fossé qui s’était creusé entre Stella et moi, entre ceux que nous étions jadis et ceux que nous étions devenus, entre les images que j’avais de nous et la réalité telle qu’elle se présentait aujourd’hui. » (p.16)

Vous noterez la grande richesse thématique du roman qui, indéniablement, en fait un récit de qualité.


Une famille presque parfaite, M.T. EDVARDSSON, traduit du suédois par Rémi Cassaigne, éditions Sonatine, 2019, 534 pages, 22€.

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