N’y a-t-il pas pire drame pour une mère que de perdre son enfant lorsque ce dernier est enlevé par un inconnu, alors que mère et fille jouaient tranquillement dans un parc avant de se rendre à leur rendez-vous chez le dentiste ? Comment les 30 secondes nécessaires pour se cacher ont-elle suffi à la petite Hortense pour se volatiser, emportée par un petit homme sec tout vêtu de noir ? Quelques secondes de jeu et une vie de famille à tout jamais bouleversée…
Dix ans plus tard, la mère d’Hortense vit encore le deuil de l’enlèvement au plus profond de sa chair. Les marches blanches régulières, les avis de recherches continuels que l’emploi de son mari Carl dans une imprimerie permet de diffuser sans limite : chaque élément du quotidien ravive le manque, l’absence. La projection aussi…
« Je me promène dans les Rousses avec Hortense dans la tête, Hortense qui, depuis sa disparition, se pose souvent sur les visages que je croise. Alors je souris doucement, à ces danseuses étoiles, à ces maîtresses d’école, à ces vétérinaires. Il n’est pas rare qu’Hortense me rejoigne en balade, que j’ouvre la portière arrière de la voiture avant la mienne pour asseoir le fantôme dans le siège enfant trop petit pour elle. » (p.40-41)
Ainsi, lorsque la famille Vannier s’installe en face de chez eux, la narratrice croit reconnaître en la cadette, Hélène, une jeune fille de quatorze ans, Hortense. C’est une évidence, bien sûr !
Alors, telle une monomanie, la jeune femme va tout faire pour approcher Hélène. Tous les moyens sont bons : observer en cachette les faits et gestes de la famille, profiter de la clé laissée par les Vannier « au cas où » pour pénétrer dans leur intimité, décacheter leurs lettres à la Poste, où elle travaille…
Néanmoins, chaque faux pas de la narratrice semble trouver une excuse aux yeux des autres. La figure de la mère meurtrie est un bon alibi, sans doute.
Alors, est-elle victime de son désir de voir réapparaître sa fille, dix ans après sa disparition ? Jusqu’où peut aller son obsession ?
« Revenir au concret pour empêcher mon esprit de fabriquer des rêves indépendants, qui échappent à la réalité. » (p.28)
Claire Castillon signe, deux ans après Ma grande, un roman très fort. Il m’a fallu du temps avant d’entrer pleinement dans le récit narré à la première personne de cette mère meurtrie, dont on devine progressivement les failles, tant dans son couple que dans son rapport à Hortense. Si l’empathie est entière sur plus de la moitié du roman, elle vacille sensiblement au fur et à mesure des indices qui amènent au dénouement terrible et inattendu… Quoique…
« D’ailleurs, de nos quatre ans et neuf mois passés ensemble, elle n’a pas grand-chose à me reprocher. A part une gifle ou deux. A part quelques gifles, d’accord. » (p.152)
Claire Castillon parvient à merveille à nous faire entrer dans la psyché de la narratrice, de transcrire la douleur, la monomanie, les zones d’ombre de son couple. Néanmoins, j’ai ressenti une certaine difficulté avant de pouvoir pleinement saisir le fonctionnement du personnage.
« Un jour, il [Carl] m’a rétorqué que le pardon n’était rien qu’une seconde peine que le bourreau réclamait à sa victime. Je n’ai pas compris, et j’ai cru que le bourreau, c’était lui. En fait, il ne peut pas me pardonner, c’est ce que j’ai compris après, mais il le garde pour lui parce qu’il n’aimerait pas qu’Hortense le voie me haïr. » (p.117)
Pour conclure, on a là un portrait de femme et de mère absolument paradoxal, qu’il est finalement difficile de juger une fois le roman fermé.
« A chaque fois, j’ai pensé que j’allais arrêter » (p.155)
Marche blanche, Claire CASTILLON, éditions Gallimard, 2020, 167 pages, 16€.