Violaine Lepage est à la tête d’une maison d’édition parisienne de renom et elle dirige, depuis quatorze ans maintenant, le prestigieux service des manuscrits, trente mètres carrés, sacro-saint temple des espoirs littéraires de tous les aspirants écrivains de France. En quelques heures, leur destin est scellé par la lecture exigeante et impitoyable de trois lecteurs professionnels. Bien souvent, le manuscrit reste lettre morte ; parfois, l’espoir reste permis, à condition de retravailler le texte ; rarement, un contrat attend l’heureux élu qui a su se distinguer parmi les milliers de manuscrits envoyés pendant l’année…
Et c’est justement le cas lorsque le roman commence en ce printemps parisien, lequel voit renaître à la vie Violaine Lepage, victime d’un terrible accident d’avion et qui se réveille après dix-huit jours de coma ; de même, c’est aussi la naissance d’un auteur, Camille Désencres, que Violaine a fait publier. Son roman, « Les Fleurs de sucre« , est un succès en librairie.
Cependant, l’éclosion de ce nouveau talent est problématique : en premier lieu, personne ne sait qui est Camille Désencres. Est-ce un homme ? une femme ? Il / Elle a décliné toutes les rencontres proposées par Violaine, se contentant de signer son contrat à distance. En second lieu, au fur et à mesure que le Goncourt s’annonce comme envisageable pour le roman, la maison d’édition se retrouve progressivement acculée : elle est incapable de présenter physiquement le potentiel lauréat. Enfin, il s’avère que les différents meurtres évoqués dans le récit de Désencres se produisent dans la vraie vie selon un modus operandi similaire. La police est sur l’affaire, remettant en question toute hypothétique entreprise fictionnelle du roman.
« On cherche…Camille Désencres. […] Un homme, une femme, un écrivain, un meurtrier, une tueuse. Je ne sais pas ce que c’est, mais tout vient d’un endroit bizarre : une pièce de trente mètres carrés ou des gens sont payés pour lire des livres qui n’existent pas encore. » (p.128)
Or, il semblerait bien que Violaine Lepage elle-même ne soit pas dupe de cette étrange coïncidence : quel est alors son lien avec le roman ? avec Camille Désencres ?
Le « Service des manuscrits » est un récit extraordinaire, que j’ai eu un immense plaisir à lire. Trois points justifient mon enthousiasme :
- la description du monde de l’édition, microcosme confidentiel et feutré, avec ses arcanes, ses lois, ses traditions. Antoine Laurain nous en livre un tableau fascinant, bien que sans concession (et oui, au final, quel serait intérêt ?). Le lecteur avale les pages pour découvrir l’envers du décor d’où est né le livre qu’il tient entre les mains : passionnant !
« La raison d’être d’un service des manuscrits est de trouver de nouveaux auteurs et de les publier. Cette mission est remplie deux à trois fois l’an. Elle justifie ces heures passées à lire la prose d’inconnus, ces milliers d’enveloppes ouvertes, ces centaines de fiches de lecture rédigées et ces milliers de lettres types envoyées aux quatre coins du pays et parfois même du monde. » (p.21-22)
- le parcours de Violaine Lepage, rare femme dans le monde de l’édition, qui est parvenue à gravir les échelons au prix d’une détermination sans borne. A bien des égards, le roman fait la part belle au récit initiatique (voire féministe ?).
- la trame policière, du fait des meurtres décrits dans le roman et qui se produisent dans la vie réelle. Forcément, le suspense est à son comble pour résoudre ce mystère. Personnellement, j’applaudis à cette jolie astuce littéraire de questionner la frontière entre la réalité fictionnelle et la fiction réaliste.
« Madame, je crois que vous ne comprenez pas très bien que vous êtes au centre d’une affaire criminelle, vous, votre maison d’édition et votre service des manuscrits. […] Je pense que vous me cachez des choses. Je pense que vous savez qui a écrit ce livre. » (p.140)
Jolie mise en abyme du livre dans le livre et du modus operandi de réalisation, « Le Service des manuscrits » est un petit bijou littéraire que l’on ne saurait bouder !
« De leur conception à leur impression, les romans ont leur vie propre qui échappe même à leur auteur. » (p.146)
Le Service des manuscrits, Antoine LAURAIN, éditions Flammarion, 2020, 215 pages, 18€.
Je prends note…😉
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Alors là plus que jamais ! 👌😊
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