A croquer

« Trop beau », Emmanuelle Heidsieck : zélée Mère Nature ici blâmée…

Marco Bueli a un problème qui, pour le commun des mortels, n’en serait pas un. Jugez plutôt : ce trentenaire brillamment diplômé est trop beau. Oui, trop beau : physiquement, il est irréprochable et son enveloppe corporelle digne d’un olympien Apollon. Mère Nature, à n’en pas douter, s’est montrée très généreuse à son égard. Trop beau

Si ce don a bien des avantages (fierté des parents, nul besoin de ramer pour choper la plus belle fille de la soirée…), ce petit ovni littéraire, mi-roman mi-essai, tend à démontrer à la perfection que trop de beauté peut clairement handicaper.

« Sachez que cet atout est aussi une plaie. […] Je garde mon calme mais je voudrais crier. Je suis un porte-parole. » (p.12)

En effet, malgré un bagage intellectuel excellent, Marco a été licencié à trois reprises : le fait qu’il soit trop beau a, à chaque fois, été mis en cause (jalousie…).

« Si je suis là, devant vous, c’est que la coupe est pleine. J’ai souffert. Je le dis. Je me permets de l’énoncer. Simplement. J’ai souffert. Je le dis et je le redis. Vous connaissez mon dossier, je ne vais pas y revenir. Là, maintenant, je l déclare solennellement, mon physique ne m’a pas aidé dans ma carrière. Bien au contraire. » (p.30)

« Ils sont devenus jaloux, méchants, hostiles, ils se sont mis à l’écarter, à ne plus l’informer, il fallait qu’il se batte pour faire le job, il était de plus en plus isolé. Ils ont eu sa peau. Il s’est fait virer. » (p.64)

Si cela peut sembler risible et un rien superficiel, le cas a pourtant faire jurisprudence aux prud’hommes. D’anecdotique, l’affaire est devenue l’archétype d’un cas inédit de discrimination physique : être trop beau, contre toute attente, en est une.

Et le texte de prouver, par de multiples références littéraires et plus généralement culturelles, qu’être physiquement trop beau peut être handicapant : la vieillesse est plus difficile à assumer, il est commun d’associer beauté et stupidité… Autant de clichés épinglés et d’évidences bien fondées qui ont raison d’être rappelées.

« C’est une épreuve pour les gens comme eux. Sans cesse devoir prouver, devoir démontrer leurs capacités intellectuelles. Il leur faut lutter contre une pure invention. […] La vengeance du commun des mortels est cruelle, perpétuelle. Cette propagande est inadmissible. Leur peine n’a pas de nom. » (p.77)

La première partie du texte est assumée par Marco : le ton est tâtonnant, les propos sont confus, il faut s’accrocher pour ne pas être tenté de décrocher par cette prose très verbale. Puis, dans la seconde partie, le propos est pris en chargé par un narrateur autre au sein d’un groupe de parole de gens trop beaux. Alors la trame narrative devient plus fluide et franchement passionnante.

Après Je suis né laid d’Isabelle Minière, je prends l’opposé extrême avec Trop beau. Dans les deux cas, le poids du regard de la société indique que le conformisme et l’uniformité font hélas loi : malheur à qui n’est pas dans la norme physique standard. Tellement dommage. Résistons, et que l’éclectisme physique soit roi.


Trop beau, Emmanuelle HEIDSIECK, éditions du Faubourg, 2020, 111 pages, 15€.

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