Je retrouve avec grand plaisir Stéphane Hoffmann, découvert en 2018 avec Les Belles ambitieuses, en ayant par un hasard mis la main dans ma bibliothèque sur l’un de ses récits de « jeunesse » (qu’il me pardonne), à savoir Des filles qui dansent, publié en 2007. D’emblée, il s’avère idéal de savourer ce roman en été, et de préférence sur le sable d’une plage de la Loire-Atlantique (mais point de favoritisme non plus : nous pourrons élargir sans peine à la côte atlantique voire méditerranéenne). Le fait que l’action se passe dans les années 80 n’est pas pour autant suranné, le vintage étant aujourd’hui le nouveau chic. Argumentaire d’un coup de cœur personnel…
En premier lieu, l’ancrage spatial du récit : Jérôme, le « héros », est natif de la région de la Brière, soit « l’arrière-pays » de la Côte d’Amour. Mais, comme souvent, il faut partir à Nantes pour y faire ses études, en l’occurrence le droit pour lui, aussi peu convaincu soit-il de son choix. Tout comme pour lui, Nantes a été la ville de mes études pour ensuite y habiter, sensible au quotidien au charme indiscutable de la cité des Ducs. Ensuite, La Baule, où Jérôme va travailler le temps d’un été, dans l’un de ces bars de plage souvent sélects qui ponctuent la baie de la très chic ville balnéaire. Or, pour y avoir passé à plusieurs reprises de délicieux séjours, quel bonheur d’arpenter, à travers la délectable plume de Stéphane Hoffmann, les élégantes allées bauloises et de retrouver les hauts-lieux de la ville, à commencer par le prestigieux Hermitage, décor flamboyant de la dernière partie du récit, ou encore la tranquille plage Benoît. L’ambiance de la Baule est, à travers la géographie de la ville, parfaitement retranscrite.
« C’est La Baule : une plage qui n’en finit pas, sans un rocher, avec plein de gens chics et bien coiffés. » (p.89)
En second lieu, vous qui me lisez, vous savez que j’affectionne tout particulièrement les romans à thématique sociale, en particulier la question des classes. De fait, Stéphane Hoffmann s’en empare de manière jouissive pour camper, dans un premier temps, Jérôme et sa famille de prolétaires, où la réussite et le bonheur contenté se mesurent à la virée du samedi au Auchan, les mains agrippées à un caddie bien rempli. Puis, dans un second temps, aux antipodes de cette description très plébéienne, nous faisons la connaissance des Chalaffre, bourgeois bien établis grâce au succès en affaires du patriarche, le grand-père Edmond. Hôtel particulier sur un boulevard du centre de Nantes, vacances à l’étranger et maison de famille à La Baule : un archétype éternel du patricien moderne.
« Eux, si calmes et insolents, sûrs d’eux-mêmes et de leur place dans la vie. » (p.50)
Mais que le lecteur se rassure : les deux milieux sociaux sont épinglés de manière égale par un verbe incisif. Le narrateur (souvent Jérôme) porte un regard critique acéré et Hoffmann témoigne d’un sens de la formule qui fait mouche pour mettre à distance les travers tant des petites gens que des nantis de ce monde.
Quand les deux milieux se rencontrent le temps d’un été, notamment lorsque Jérôme et Camille Chalaffre tombent amoureux l’un de l’autre, c’est tout le clan Chalaffre qui frémit : un roturier peut-il décemment oser se présenter devant eux ? Peut-il y avoir transgression ?
« Dans leurs regards […], je sens cette forme si particulière de haine qui s’appelle le mépris. Je n’ai rien à faire ici, parmi eux. Je ne suis pas des leurs et ne dois pas entraîner leur petite chérie se promener en barque dans une contrée réservée aux campeurs et aux autocars. Je n’ai pas l’élégance d’un Baulois, leur pull sur les épaules, leur aisance, leurs pieds nus dans les mocassins, leur raffinement, leur air de toujours revenir du golf. » (p.171)
Des filles qui dansent propose peut-être avant tout une excellente galerie de portraits. Bien évidemment, au-delà, la thématique est sociale : peut-il y avoir interpénétration d’un milieu dans un autre ? Les codes sont-ils exclusifs ? La chance peut-elle être donnée de s’élever et de mettre au défi le déterminisme social ?
« Nous n’avons pas besoin de vous. Nous devons même nous protéger contre vous. » (p.189)
Au final, le récit se fait initiatique : Jérôme veut échapper à sa famille, aux rêves si prosaïques ; de la même manière, Camille veut se libérer du carcan de prestige qui l’étouffe. Ainsi, le roman montre que le sentiment d’inadéquation et l’espoir d’un ailleurs meilleur n’est pas forcément affaire de classe, mais avant tout histoire de cœur.
« Des gens qui aimeraient de sortir de leur condition, il y en a partout autour de moi. » (p.19)
Un beau coup de cœur, une plume que j’affectionne : merci pour ce chouette moment de lecture.
Des filles qui dansent, Stéphane HOFFMANN, éditions Albin Michel, 2007, 229 pages, 16€.
1 réflexion au sujet de “« Des filles qui dansent », Stéphane Hoffmann : le temps d’un été à La Baule, « la faiblesse des hommes, elles savent »…”