
A treize ans, lorsque l’on est adolescente, l’éveil des sens et des sentiments est sans doute le sujet le plus important, prémisse de futures initiations, au centre de toutes les considérations.
« A treize ans, aucun garçon ne m’avait témoigné le moindre intérêt. Le fardeau de n’avoir jamais été embrassée était suffisamment lourd à porter » (p.32-33)
Seulement, lorsque l’on est d’une part fille de bonne famille et d’autre part élève au collège Notre-Dame de l’Annonciation, institution catholique huppée en terres arabes, difficile de faire son éducation amoureuse, alors que les religieuses veillent jalousement sur la vertu de leurs ouailles, et que les garçons sont en très faible minorité au sein de l’établissement.
« L’éducation catholique qui nous était dispensée entre ces murs de brique jaune devait servir de rempart au vice qui pullulait autour de nous » (p.27)
Notre héroïne, très complexée par son physique et la banalité absolue de sa propre personne, se meurt littéralement d’envie de connaître les garçons. Pour ce faire, elle expérimente différentes stratégies : ignorer ses sages amies d’enfance, biberonnées à l’innocence et à la crainte du grand méchant loup ; copiner avec Bruna, une jeune fille délurée qui n’a pas froid aux yeux ; puis, s’immiscer dans le groupe des deux filles les plus belles et les plus populaires de l’Annonc’, en espérant grappiller quelques miettes de leur aura ; ou encore, tester les chats en ligne des années 90 pour quelques discussions fort osées…
La jeune fille récolte laborieusement les graines de son entreprise de conquête (d’elle-même, des copines, des garçons), n’hésitant pas à braver les interdits, quitte à être conspuée, quitte à être trahie. Déterminée à être l’initiatrice et l’instigatrice de sa propre éducation tant sentimentale que sensuelle, notre héroïne érige vaillamment ses petites victoires et assument ses grandes défaites. La tête haute, rien ne lui fera renoncer à son goût pour les garçons, encore plus quand celui-ci est auréolé du sceau de l’interdit.
« mais moi, moi qui voyais chacun se ruer vers les plaisirs, moi l’oubliée, je n’en pouvais plus » (p.89)
Chronique intéressante sur des mœurs qui pourraient passer pour pudibondes mais pourtant bel et bien ancrées dans une tradition sociale et culturelle où il est de bon ton de cultiver la culture française tout en en étant géographiquement éloigné, Le goût des garçons est un récit délicatement conté, la prose élégante contrebalançant la quête pragmatique et sexuelle de notre héroïne. Parcours initiatique d’une année d’une jeune fille, le chemin pour arriver à la découverte ultime fait se confronter rigide carcan catholique pétri de principes (surannés ?) et adolescence crevant d’envie de liberté(s). A travers le vaste spectre des différentes possibilités de grandir dans un tel étau, Joy Majdalani propose une voix assumée et affranchie, teintée d’un certain féminisme adolescent assumé mettant à bonne distance tout déterminisme.
Insolite, inédit, intéressant.
Le goût des garçons, Joy MAJDALANI, éditions GRASSET, 2022, 172 pages, 16€.