
Anne Tyler, extraordinaire romancière américaine que je chronique depuis plusieurs années maintenant, n’a pas son pareil pour raconter la famille : ses joies, ses désillusions, ses atermoiements. Plus encore, elle excelle dans l’art de sublimer les non-dits, si révélateurs d’une vérité souvent empreinte d’une humanité touchante. Si les grandes effusions n’ont pas vraiment de place dans ses récits, la tendresse, tacite, affleure dans ces petits riens du quotidien, si pragmatiques que passé l’étonnement premier, leur évidence fait sens : et l’amour, fil ténu mais néanmoins solide, de triompher.
Cette fois-ci, Anne Tyler ancre son roman à Baltimore, siège de la famille Garrett. Sur plus de cinq décennies, de 1970 jusqu’à la pandémie de 2020, nous suivons les petits et les grands moments familiaux des différents membres, moments peut-être anodins mais finalement fondateurs d’une mythologie personnelle : les premières (et uniques) vacances près d’un lac ; les retrouvailles en famille pour Noël ou pour Pâques ; le lent détachement de Mercy, la mère de famille, de son époux Robin, pour s’installer dans son atelier ; les furtifs rapprochements de David, le benjamin ; l’excursion à New-York de Kendall, la fille d’Alice, elle-même fille de Robin et Mercy ; l’anniversaire de mariage surprise organisé par Robin pour ne pas faire fuir Mercy…
« Car cette famille n’était pas seulement composée de « petits derniers » et de « grands » : il y avait aussi les sensés et les fêlés du ciboulot. Ou – comme disait tante Lily – les faciles et les difficiles. » (p.265)
Des instantanés de vie chez les uns ou chez les autres, ensemble, en duo ou en solo, qui font émerger le désir de dire, de vivre quelque chose que le lien ne permet pas toujours. Les tendres cruautés sont celles que l’on inflige à ceux que l’on aime, piques parfois assassines et actes peu glorieux. Mais on sait qu’importe, parce qu’il y a cet amour familial, on pardonnera. Derrière les apparences, l’évidence.
« Etait-il vraiment si facile de convaincre le monde que la vie suivait son cours comme si de rien n’était ? » (p.135)
« Oh, tout le mal que se donnait cette famille pour préserver les apparences ! » (p.217)
« C’est comme ça que ça marche […]. C’est ce que les gens font, dans une famille – ils cachent quelques vérités dérangeantes, s’autorisent quelques illusions. Des petites attentions. » (p.347)
Divine Anne Tyler, qui dissèque avec une tendre minutie le fonctionnement des Garrett, famille dysfonctionnelle à laquelle nombre de lecteurs s’identifieront certainement pour ses failles, ses manquements mais aussi ses évidences affectives. Et la fresque romanesque de devenir vérité universelle.
« c’est comme ça que les familles fonctionnent aussi. Tu penses t’en être libéré, mais tu ne l’es jamais complètement » (p.336)
Nos tendres cruautés, Anne TYLER, traduit de l’anglais (États-Unis) par Cyrielle Ayakatsikas, éditions PHEBUS, 2022, 350 pages, 21€.
C’est une autrice chère à mon cœur alors je suis ravie que tu lui rendes un si joli hommage !
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Merci beaucoup pour ce chaleureux retour. Mrs Tyler est une telle écrivaine qu’elle ne peut que mériter des éloges (même si j’avais été plus réservée avec « Un garçon sur le pas de la porte »).
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Oui je suis d’accord, ce n’est vraiment pas son meilleur. J’étais ravie de la retrouver plus égale à elle-même dans Nos tendres cruautés.
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Absolument d’accord avec toi ! 🙂 Bon weekend !
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