
Difficile rentrée pour Wallace qui, à la fin d’un été étouffant, peine à reprendre pied dans son quotidien. Le temps d’un week-end, séquencé en plusieurs chapitres, ses croyances explosent, ses liens amicaux et amoureux le bousculent dans ses certitudes. Wallace est malmené et Brandon Taylor nous donne à lire les atermoiements d’un jeune homme à un carrefour de sa vie.
Dire que rien ne va plus dans la vie de Wallace ne serait en effet pas exagéré : ses recherches de troisième année universitaire dans les sciences du vivant périclitent. Sabotage d’une camarade envieuse et mauvaise ? Possibilité envisagée. Toujours est-il que c’est l’occasion pour Wallace de se questionner sur le processus, de longue haleine, de ses études. Est-il fait pour cela, lui le boursier et seul Black du campus auquel on a octroyé cette opportunité de s’élever ? Le mérite-t-il ?
Perdu dans le flot mouvant de son groupe d’amis, aux mœurs propres aux WASP, Wallace peine à s’identifier, à se trouver pleinement intégré. Concède-t-on sa présence comme un bonus moral « bien comme il faut » ? Face à l’attirance mutuelle à peine assumée avec son camarade Miller, Wallace doute d’y trouver un véritable réconfort, tant leur relation vogue sur des eaux agitées.
« Il se trouvait toujours coincé en périphérie, à parler avec celui qui avait assez pitié de lui pour lui jeter un os et bavarder un peu. » (p.22)
Alors, perdu dans un profond chagrin que la mort de son père des semaines plus tôt n’explique pas forcément ni totalement, Wallace tantôt provoque et attaque, tantôt esquive et fait le dos rond. Car les coups pleuvent sur lui : ceux des mots de ses camarades et « amis », qui n’hésitent pas à le fustiger ; ceux de sa directrice de thèse, mécontente de lui ; ceux, réels et physiques, de Miller, torturé entre l’ethos et le thanatos.
Maillon au centre de plusieurs chaînons, Wallace se débat et doute de sa place dans le monde. Crise existentielle à la fois violente et éthérée, qu’il semble parfois constater ou contempler d’un œil critique. Critique et désabusé est aussi son regard lorsqu’il se dédouble pour regarder l’enfant qu’il a été dans le passé, violenté et abusé par des proches sans moralité. Est-ce dire que tout s’explique à partir de ces instantanés réflexifs ? Peut-être pas.
« Cette vie tirée soigneusement par-dessus l’autre, son ancienne vie. Il n’y pense pas. Il en détourne complètement son esprit. Ils sont de nouveau comme des étrangers, des visages vaguement familiers dans un torrent de visages. C’est la chose la plus charitable qu’il puisse faire pour lui-même et pour eux. On ne peut jamais être relié à la vie des autres que par un mince fil. » (p.91-92)
La « vie réelle » telle que l’évoque Brandon Taylor est sans éclat, riche d’un passé qui peut être douloureux et de points de rupture parfois insoupçonnés. Il nous livre un héros sur le fil, contemplant sa vie comme s’il cheminait à côté de lui-même. Peut-il se la réapproprier sans tout gâcher ? Comment surmonter ces crises qui font que jamais rien ne sera plus pareil après ?
« ce n’était pas tellement qu’il avait envie de quitter la fac, c’était qu’il avait envie de quitter sa vie. » (p.33)
L’empathie sourd à de nombreuses occasions, et l’on aimerait que Wallace hurle d’un cri déchirant tout ce qu’il a en lui et qu’il musèle souvent maladroitement.
« Le passé est avide, toujours il vous dévore, il prend sans cesse, sans cesse. Si on ne le retient pas, si on ne le refoule pas, il se répandra, il prendra, il noiera. Le passé n’est pas un horizon qui s’éloigne. […] Je ne peux pas vivre tant que vit mon passé. C’est lui ou moi. » (p.190)
A bien des égards, un livre très fort, par le portrait à fleur de peau d’un héros (ou anti-héros ?) qui s’ignore. Point de grandes actions, mais bien plutôt de la contemplation, sans doute nécessaire dans ce périlleux exercice d’introspection, que rechigne pourtant à faire Wallace. Il faut tenir sur la longueur et la langueur du récit, mais le dénouement en vaut la peine.
Real life, Brandon TAYLOR, traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, éditions LA CROISEE, 2022, 303 pages, 21.90€.
Encore et toujours un problème de couleur (malheureusement)… Comment surnager, survivre ? dans ce milieu étudiant quand on est noir, et perdu dans ses réflexions… Je note aussi !
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Hâte d’avoir ton retour !
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