A dévorer !

« Une semaine avec mes frères », Agathe Colombier Hochberg : fratrie pour la vie

Lorsque Romain, en villégiature « de la dernière chance » avec son épouse Laura, tombe en Normandie sur la maison où il avait l’habitude de venir avec sa famille lorsqu’il était enfant, c’est pour lui un signe : à l’abandon, la demeure ne demande qu’à revivre avec, peut-être, l’un de ses anciens occupants. Pour Romain, quadragénaire au succès professionnel florissant et à la fougue souvent incontrôlable, sans doute est-ce là l’opportunité de re-créer une maison de famille et d’y convier ceux qui lui sont chers.

« ils s’abandonnent au sentiment que ce moment durera toujours, et qu’avec lui se prolongera leur intimité, accrue par leurs retrouvailles dans un des décors de leur enfance. » (p.147)

Les envies de Romain doivent être satisfaites, tout le monde le sait bien, et personne ne résiste à ses désirs : séance tenante, il achète la maison, y lance des aménagements et y invite, le temps d’une semaine, ses frères Philippe et Stan, ainsi que Laura, sa femme, qui peut-être sans doute ne viendra jamais…

Philippe, l’aîné et musicien professionnel de carrière, redécouvre à son tour Blonville, très vite rejoint par Stan, le benjamin à l’âme bohème qui souvent part en mission humanitaire. Le clinquant de leur frère cadet les hérisse ponctuellement. Stan envisage même de repartir très vite, ne supportant pas de devoir consentir aux élans imprévisibles de Romain.

« Et voilà, conclut Romain, un qui aime le silence, l’autre qui se tait dès qu’on l’emmerde, faut pas s’étonner que j’aie tout le temps besoin de faire du bruit. » (p.66)

Peut-être aussi que pour chacun, il est difficile de se réapproprier un lieu où jusque-là ils n’étaient jamais revenus, un lieu chargé des souvenirs heureux du temps où leurs parents étaient deux, et leur mère encore de ce monde. Un été, la mort l’a foudroyée, et les trois orphelins de mère d’être ballotés entre leur père, démissionnaire, leurs grands-parents et la pension.

« Mais depuis qu’il est là avec ses frères, lorsqu’il se retrouve seul dans la chambre de ses parents, la maison reprend ses droits. Elle n’a rien oublié et lui souffle ses souvenirs. » (p.71)

Comment se construire lorsque l’équilibre familial est frappé du sceau du drame ? Comment trouver sa place au sein d’une fratrie dans laquelle les egos se confrontent, se heurtent ou parfois glissent l’un contre l’autre ? Entreprise de re-possession d’un lieu, d’une place, d’une relation sur des cendres encore vivaces, le récit d’Agathe Colombier Hocheberg alterne les moments de tension et les répits contemplatifs, tel un électrocardiogramme familial malmené par les histoires personnelles de chacun et par une genèse commune à tous.

Il est intéressant de noter que le roman fonctionne presque en huis-clos, se concentrant sur le trio des frères. Les femmes sont réduites à des esquisses fugitives, mais porteuses d’élans inattendus pour mieux questionner Philippe, Romain et Stan sur leurs rapports respectifs à l’amour, qu’il soit sentimental, familial, fraternel ou amical. Les questionner et faire tomber les masques, enfin… Et chacun de se remettre en question, à un moment ou à un autre, sur sa place dans l’équilibre familial – si équilibre il peut réellement y avoir dans une famille.

Agathe Colombier Hocheberg illumine de son écriture et de la profondeur de son analyse, tant celle de chaque frère que celle du fonctionnement du trio en une unité, le sens du mot famille. Elle invite chacun à croire en une indéfectible affection que les liens du sang ne sauraient jamais faire oublier… ni renier.


Une semaine avec mes frères, Agathe COLOMBIER HOCHEBERG, éditions PLON, 2022, 248 pages, 20€.

Un immense merci aux éditions PLON pour l’envoi gracieux de ce remarquable roman et la dédicace d’Agathe : cela me va droit au cœur.

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