A dévorer !

« Mon pauvre lapin », César Morgiewicz : illusions perdues

« Mon pauvre lapin », c’est en l’occurrence César, ainsi nommé par sa chère grand-mère, matriarche d’une famille quasi-exclusivement féminine et qui règne en reine mère sur son petit microcosme, tantôt parisien quand l’été est là, tantôt américain lorsqu’elle s’exile dans sa maison secondaire à Key-West.

César nait donc avec une cuillère dorée dans la bouche, lui le rejeton d’une famille de la haute-bourgeoisie pour laquelle l’argent n’est pas un problème. Seulement, malgré cet ancrage social privilégié, César fait chaque jour le constat de son inadéquation au monde qui l’entoure : physiquement parlant, avec ses problèmes de mâchoire, de boutons dans le dos et sa tendance à la transpiration dorsale excessive ; socialement parlant, avec une difficulté significative à se lier aux autres, malgré toutes les initiatives – malheureuses – entreprises par les uns et par les autres. Les filles dans tout cela ? Un échec cuisant, pour ce jeune homme élevé tel un eunuque dans un sérail.

Ce n’est pourtant pas faute de sa grand-mère, de ses tantes et de sa mère de s’enquérir de sa vie, de l’encourager, de croire en lui autant que possible. Mais César crée l’illusion (d’une vie heureuse, d’une vie remplie) alors qu’il crève d’ennui et de solitude.

Des élans, il en a : il se toque pendant des années des horaires de la RATP, des capitales du monde ; puis de Sciences-Po… ou du russe. Autant de feux de paille aussi vite éteints qu’allumés. Des allumettes… des flammèches…

« Mais bon, à chaque fois que cette idée me traverse l’esprit je remets son exécution à une date ultérieure qui n’arrive jamais. » (p.82)

« C’est donc comme ça qu’a pris fin ma carrière dans l’espionnage. A peine un mois après avoir vu le jour, elle s’est retrouvée au cimetière de mes projets exaltés et éphémères. Il y a du monde, là-bas… Elle y a retrouvé la diplomatie, la magistrature, ma vie rêvée de conducteur de bus, ma carrière de pilote de ligne, le cinéma, la psychanalyse, les affaires maritimes… » (p.111)

César est-il pour autant malheureux ? Certes, il promène son spleen à travers Paris mais passe maître dans l’art de l’esquive en tout genre. Cela donne lieu à des situations de haute portée comique, tant ce personnage est en total décalage avec la réalité.

Mon pauvre lapin est le roman de l’inadéquation au monde d’un jeune homme qui cherche un sens à sa vie, qui se cherche en tant qu’individu dans un monde où bien souvent on est défini par son statut social, son parcours et plus largement sur son image.

« Je me demandais si j’allais continuer encore longtemps comme ça, à foncer tête baissée, sans me poser de questions, sans regarder autour de moi, toujours tendu vers un but dont je ne comprenais pas au fond pourquoi je le poursuivais. Quand je vois aujourd’hui ce qu’il m’en reste, de tout ce que je me suis enfoncé dans le crâne, je peux vous dire que ça valait le coup… » (p.148)

Alors que la pandémie bouleverse en 2020 les habitudes de chacun, César se retrouve coincé à Key West avec sa grand-mère. Mais sans doute est-ce là la bonne occasion pour lui d’écrire un roman, sa nouvelle marotte après moult autres ambitions avortées. Enfin, d’essayer, car chaque jour il s’éloigne un peu plus de ses cahiers, préférant faire tout autre chose que de se confronter à la page blanche. Et pourtant, nous lecteurs à qui César « parle », nous voyons ce fameux livre en train de se faire, mise en abyme savoureuse et ingénieuse.

« Moi qui ai tant rêvé d’une vie cadrée, je me retrouve à la dérive, sans rien de ce qui remplit l’emploi du temps des gens. Ni travail, ni amours, ni projets… Je n’ai plus que vous. Et ma grand-mère, bien sûr. » (p.12)

« Et puis il y a vous, aussi. Je me demande en permanence ce que je fais là à écrire alors que je ne sais pas du tout si ça peut vous intéresser. » (p.52)

On pourrait croire le ton du récit est grandement désabusé. Seul le constat des échecs consécutifs de César l’est, mais la bonhommie du personnage est telle que de chaque expérience il repart de l’avant, plus gonflé de saine philosophie que précédemment.

César ne renierait point l’influence des personnages du divin Fabrice Caro, personnages dont le spleen paradoxalement nous amuse et nous attendrit, tant ils semblent être les dignes héritiers de papier de Pierre Richard et autres maladroits qui peinent à s’adapter à une société trop souvent calibrée.

Pauvre lapin, mais heureux lecteurs que nous sommes après un tel récit !


Mon pauvre lapin, César MORGIEWICZ, éditions GALLIMARD, 2022, 228 pages, 19€.

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