Leo file le parfait amour (ou presque) avec sa fiancée André (si si, il s’agit bien d’une femme malgré ce prénom masculin) depuis deux ans. Pourtant, tout semble les séparer : elle est belle et racée, lui est rachitique, très commun et amputé de deux doigts ; elle évolue dans la riche sphère des nantis, lui survit avec son modeste job de gardien de musée d’arts ; elle est fervente catholique et pratiquante en diable (!), lui se contente d’accepter la religion de sa fiancée, avec notamment et surtout l’injonction de ne pas se livrer à la luxure avant le mariage.
« André ne couche pas. Le sexe, pour elle, c’est un navire qui a coulé il y a des années tout au fond de l’océan et qu’on n’a jamais retrouvé. » (p.29)
Leur relation aurait pu doucement continuer à évoluer de la sorte. Tout justement, Leo pense demander André en mariage. Mais, alors qu’il s’apprête à faire sa demande, il surprend sa fiancée en plein ébat sexuel avec son mannequin de voisin. Doublement trompé (sur le fond et la forme), Léo réfléchit la manière de fomenter sa vengeance : sa fiancée était supposée respecter scrupuleusement les Dix Commandements ? Alors lui va les bafouer un à un pour mieux provoquer André et apaiser son désir de vengeance. Le PVEV (Plan Viril et Vengeur) peut commencer.
« C’est à cet instant précis que je commence à ourdir un plan diabolique. Je pense qu’une belle histoire comme la nôtre mérite une conclusion meilleure. Je pense que pour ce faire, je vais utiliser son propre code, ce bigotisme qu’elle m’a infligé pendant des semaines et des mois? Je peux les vider de toute substance, ses commandements. Je peux les enfreindre tous, l’un après l’autre, au nom d’une saine vengeance. » (p.81)
Aidé de son collègue et ami Ivan, Leo transgresse un à un les Dix Commandements avec plus ou moins de succès, mais avec toujours beaucoup d’humour.
Car c’est aussi cela l’aspect le plus remarquable du récit de Francesco Muzopappa : un humour spirituel à chaque page, presque chaque ligne, que cela concerne Leo lui-même lorsqu’il fait preuve d’auto-dérision ou les autres lorsqu’il les tourne en dérision. C’est mordant, vif, irrévérencieux en diable : divin ! Je prends ainsi en particulier pour exemple de cet humour espiègle les notices des œuvres d’art du MU.CO. que Leo doit régulièrement télécharger pour les audio-guides : le verbiage arty pompeux utilisé y est tellement absurde que l’on ne peut y voir qu’une critique des penseurs de l’art contemporain et de leur herméneutique hermétique. Jouissif, tout simplement jouissif !
« La pièce n°88 s’intitule BOUM BOUM PAM PAM, c’est une œuvre de Filipp Tommaso Marinetti. On connaît le succès de TZING BONG BONG, le glorieux manifeste futuriste qui fut l’expression d’une époque. Cette œuvre plus confidentielle en est la continuation logique. Produite quelques années avant BADAMOUM et en concomitance avec la sortie de TIC TOC, BOUM BOUM PAM PAM est inspirée par la bataille d’Andrinople lors de la guerre bulgaro-turque. On notera la pimpance de BOUM qui nuance la violence de PAM. » (p.173-174)
« La pièce n°119 s’intitule PERPLEXITY, c’est une œuvre de Sandy Mayer. Ce mur blanc est en réalité une puissante réflexion autour des limites, physiques et, bien sûr, psychologiques que la vie nous impose. La perplexité qu’elle inspire, soulignée par le titre même de l’oeuvre, pénètre le regard du visiteur qui s’attarde devant l’installation, laquelle, suivant les exigences de l’artiste, est repeinte tous les jours. » (p.174)
Autre regard critique et non des moindres : le discours intolérant des catholiques prêchant pourtant la charité, la bienveillance et l’ouverture au prochain. De fait, malgré toutes les photos des papes accrochées au mur ou l’immense crucifix surplombant la salle à manger, la belle-famille de Leo tient des propos racistes, homophobes et xénophobes. Paradoxe ironique et critique d’une intolérante bienveillance utilisée pour le paraître bien-pensant.
« la tablée s’échauffe sur des questions socialement cruciales comme le mépris pour les homosexuels et la haine raciale envers les Africains. […]
– Eh bien moi, je les exterminerais tous, ces migrants ! Je vous en ficherais, des frontières ouvertes ! » (p.53)
« -Bah, qu’ils aillent le chercher chez eux, le travail. Ce n’est pas une association de bienfaisance, ici. Et qu’on ne vienne pas me dire que je suis raciste. Je suis tolérant, moi, je suis catholique. Je parraine même un de ces petits enfants noirs, en Afrique. » (p.54)
Divine vengeance est un pur petit bijou littéraire que l’on dévore en quelques heures. Satire ans doute immorale ou amorale à bien des égards (de l’enjeu éthique de livrer vengeance…) mais tellement drôle et bien troussée !
Divine vengeance, Francesco Muzzopappa, traduit de l’italien par Marianne Faurobert, éditions Autrement, 2018, 242 pages, 19.90€.
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