Juliette, la quarantaine, est une femme divorcée et mère d’une ado, Valentine. Dans ce roman, narré à la première personne, Juliette égrène ses manies qu’elle déplore, qu’elle confesse, qu’elle avoue… D’ailleurs, l’expression « c’est le genre de fille qui… » n’est-elle pas usitée à des fins quelque peu péjoratives et méprisantes ? Autoportrait fictif d’une quadra en proie à ses démons et en quête de ses rêves…
Ainsi, Juliette est le genre de femme (omission personnelle et volontaire du péjoratif « fille ») « à être complexée intellectuellement lorsqu’elle se retrouve en compagnie de gens très cultivés » (p.29), « à parler aux animaux mais n’a rien d’intéressant à leur dire » (p.51), « qui regarde BFMTV quand un grave événement survient et qui soudain, pour détendre l’atmosphère, décide de se faire les ongles » (p.80), « très hypocondriaque » (p.187). Mais surtout, c’est une femme qui s’écrase (« Je suis le genre de fille plutôt arrangeante« , p.17) alors qu’elle ne rêve que d’une chose : s’affirmer haut et fort. De fait, chaque nuit de Juliette devient le théâtre verbal d’une révolte de ce qui aurait dû être, de ce qui devrait être mais qui ne se réalisera en fait jamais : désir fantasmé de s’imposer, au moins une fois, quitte à le regretter.
« Je me plais à inventer des dialogues incisifs quand je me réveille au milieu de la nuit. La nuit, comme on sait, transforme la perception qu’on entretient avec le réel. Et là, je me sens forte. » (p.45)
« Je profite de la nuit, généreuse, qui permet de se sentir fort, juste et profond. Exaltation. Merci, Nuit, de nous autoriser cela : penser ce qu’on pense sans filtre, sans crainte des lendemains. » (p.165)
Alors, de chapitre en chapitre, sans complaisance mais avec un humour certain, Juliette déroule le fil thématique de ses manies. Souvent, sa description laisse place au récit d’une anecdote au ton désenchanté afin d’esquisser par touches le portrait d’une vie marquée par la solitude, le désœuvrement et le doute. Autant de fils qui s’enchevêtrent pour former l’étoffe élimée d’une vie.
« Tout dans la vie que je vis aujourd’hui m’encourage à croire que je n’ai aucun avenir. J’ai une fille qui n’accepte de se promener avec moi qu’à condition que je marche trois mètres derrière elle, un ex qui souffle d’ennui dès que je m’adresse à lui, un collègue qui me rabaisse plus bas que terre et des tas de gens que je ne connais pas mais dont on m’explique, à la télévision, qu’ils veulent notre mort, donc la mienne.
Il faut que j’oriente ma vie autrement. Mais comment ? » (p.82)
Ce portrait de femme, constitué d’instantanés du quotidien, refuse le pathos et privilégie l’espoir en un potentiel « mieux » à venir. Plus que jamais l’œuvre de Nathalie Kuperman est duelle : la beauté d’une certaine poésie succède à la terne médiocrité.
On retiendra enfin du roman cet habile déplacement thématique vers une déclaration d’amour à la défunte mère, amèrement regrettée. Peut-être que ce portrait à charge de Juliette par elle-même est une manière de reconnaître sa propre imperfection, point commun qui la rapproche après la mort de celle qui n’est plus.
Recherche d’un adoubement par autrui doublée d’une affirmation d’elle-même, Juliette est ce genre de fille qui parvient à forcer le respect, aussi perfectible soit-elle / soit-il.
Je suis le genre de fille, Nathalie KUPERMAN, éditions Flammarion, 2018, 220 pages, 18 €.