A dévorer !

« Le bonheur est au fond du couloir à gauche », J.M. Erre : quand le PROZAC se prescrit en doses littéraires !

Michel H. (oui, oui, c’est bien son nom) n’a que vingt-cinq ans et pourtant une grande disposition pour la dépression. Ainsi, tout semble prétexte au spleen et le quidam n’a rien à envier à son quasi homonyme écrivain à la « sérotonine » hésitante.

« J’ai été un enfant triste et un adolescent cafardeux avant de devenir un adulte neurasthénique. » (p.21)

« Grâce aux psys, je sais que je suis un obsessionnel compulsif bipolaire gravement dépressif, franchement hypocondriaque, volontiers paranoïaque et fortement inhibé à cause d’un rapport pathologique à ma mère. » (p.48)

Alors, lorsque Bérénice, son amour de trois semaines, le quitte, c’est le drame, et Michel touche (encore plus) le fond. Mais peut-être peut-il compter sur le « cadeau » qu’elle lui a laissé : un carton rempli de livres de développement personnel !

« La porte claque. Quand l’Amour s’en va, on ne réfléchit pas, on agit. Pas une seconde d’hésitation : je prends un Lexomil. » (p.12)

Et puis, loin d’être dépourvu, Michel peut aussi se rallier au catalogue sans fin de ressources dont dispose Google pour trouver LA solution afin d’être heureux, seul gage possible selon lui pour que Bérénice lui revienne.

Le voilà alors plongé en quasi-apnée dans le filet mirifique des offres maraboutées et des théories toutes plus farfelues les unes que les autres (et toutes plus contradictoires les unes avec les autres) pour atteindre le bonheur.

« Elle résume son raisonnement par une jolie formule : « Le bonheur est contagieux. » Être heureux rendrait les autres heureux… Bien sûr… Martine a raison… Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Bérénice revient à 19 h 47. J’ai cinq heures et une minute pour être heureux. C’est jouable. » (p.100)

Michel peut espérer atteindre le bonheur pour que Bérénice revienne mais c’est sans compter M. Patusse, son voisin si à cheval sur le règlement de co-propriété, qui met à mal ses tentatives souvent avortées et déceptives dans sa quête du bonheur.

« Moi, j’étais fait pour naître enfant esclave tuberculeux et transgenre dans un pays en guerre où il fait 40°C à l’ombre en hiver. Voilà bien une phrase de raté. » (p.143)

A bien des égards, Le bonheur est au fond du couloir à gauche se veut un apologue (c’est un récit bref) car il questionne la quête désespérée de l’homme moderne (ou 2.0) pour atteindre un idéal de vie peut-être hors d’atteinte. Critique non dissimulée des nombreux titres de développement personnel qui fleurissent en librairie ainsi que des très nombreux romans feel-good au succès éclatant, le récit taille dans le vif pour mieux se moquer de ce qui relève de poncifs à prétention théoriques.

« En conclusion, je craque une allumette et je fais flamber le bouquin dans l’évier de la cuisine. Je sens la joie m’envahir. Finalement, il marche bien ce manuel. » (p.147)

Il y a dans ce chouette roman du Fab Caro : le soliloque d’un homme en pleine crise de doute, en pleine crise existentielle, tandis que la femme aimée prend la tangente.

C’est acerbe, c’est critique, c’est incisif, grandement ironique et délicieusement provocateur : le bonheur de lecture tient au final à cela, point besoin d’aller chercher bien loin.


Le bonheur est au fond du couloir à gauche, J.M. ERRE, éditions Buchet / Chastel, 2021, 183 pages, 15€.  

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