
1962 en Angleterre. Edward et Florence, après un an de relation, viennent de convoler en justes noces.
« Presque inconnus l’un de l’autre, ils atteignaient, étrangement réunis, un des sommets de leur existence, ravis que leur nouveau statut promette de les hisser hors de leur interminable jeunesse – Edward et Florence, enfin libres ! » (p.14)
Si le roman tait le récit du mariage en lui-même, il se concentre sur la soirée des nouveaux époux, que l’on découvre autour de leur souper, dans la suite nuptiale de leur petit hôtel. Il faut dire que l’enjeu est de taille : Edward est littéralement impatient de posséder, enfin, la belle Florence, la si jolie et élégante Florence, qui s’est refusée jusque-là à lui, ne lui autorisant tout au plus que quelques furtives caresses. Pour la jeune épouse, l’affaire est tout autre : la perspective de « consommer » son mariage lui fait horreur. Pourquoi ne pas se contenter de s’aimer, tout simplement ?
« Coucher avec Edward ne pouvait en aucun cas représenter le comble du bonheur, c’était le prix à payer pour mériter ce bonheur. » (p.16)
Car oui, Edward et Florence s’aiment joliment, d’un amour pur, entier, absolu, dont il ne fait aucun doute. Mais Florence a conscience qu’elle doit « obéir » à son « devoir » de femme mariée…
« Mais elle avait un sens du devoir cruellement développé, auquel elle était incapable de déroger. Elle ne supportait pas l’idée d’abandonner Edward. Et elle avait la conviction que tous les torts étaient de son côté. » (p.37-38)
Alors, chaque minute devient lutte : Edward pour ne pas laisser l’impatiente émotion ruiner la mise en action, Florence pour retarder la caresse fatidique.
Là est la tension dramatique du récit : Edward et Florence vont-ils faire chair leur amour ? Point de bascule vers un possible meilleur… ou un éventuel pire.
Mais il serait réducteur de penser que le roman n’est affaire que de « cela ». Non, Ian McEwan fait la part belle à la genèse de l’amour entre Edward et Florence, ainsi que de leur histoire propre. Une remontée dans le temps signifiante quant aux différences de classe sociale, quant aux intérêts de chacun (Edward est un passionné d’Histoire, tandis que Florence est une remarquable violoncelliste)… Et si ce qui allait se passer cette nuit-là près de la plage de Chesil avait son explication dans le passé du couple ?
« Qu’est-ce qui les arrêtait donc donc ? Leur personnalité et leur passé, leur ignorance et leur peur, leur timidité, leur pruderie, leur manque d’aisance, d’expérience ou de naturel, vestiges des interdits religieux, leur anglicité, leur classe sociale, et même le poids de l’Histoire. Trois fois rien. » (p.90)
Une seule nuit peut-elle avoir raison de la mythologie à la fois personnelle, sociale et familiale d’une histoire d’amour ?
Ce récit (mon premier, à ma grande honte, de Ian McEwan) est remarquable : il entrelace à merveille l’imminence de la consommation du mariage à un passé à la fois double et commun. On savoure la délicatesse et la légèreté d’une écriture, belle, comparable à un voile de coton littéraire. Un certain impressionnisme de l’écriture que l’on retrouve dans les motifs, notamment ceux des paysages, tant urbains que maritimes et campagnards. Notons également l’ancrage historique des années 60 en Angleterre, parfaitement maîtrisé dans sa part dans le roman.
Un texte beau, tout simplement beau.
Sur la plage de Chesil, Ian McEWAN, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, éditions GALLIMARD, 2008, 151 pages, 16.50€.