A dévorer !

« Comme une éclipse », Sophie Rouvier : de la permanence des liens affectifs

Clément et sa sœur Brune, Dimitri, Fred et Pio sont des amis de toujours, qui se sont rencontrés dans la jeunesse et n’ont jamais cessé d’entretenir leur précieuse amitié.

« Inséparables depuis le collège, des week-ends de retrouvailles dans la maison commune et dans les capitales d’Europe, du temps des études secondaires, et puis… Et puis, les choses de la vie… Les enfants, les emplois du temps. Il y eut l’éloignement, les fuseaux horaires, les obligations, mais rien, se disaient-ils, ne viendrait altérer pareille amitié. » (p.24)

Mieux encore, ils l’ont scellée par un achat commun : une grande bâtisse qui tombait en ruines, remaniée au fil des ans par les uns et par les autres, et plus encore par les billets du flamboyant Dimitri.

« La maison sera parfaite pour la suite, un point de ralliement pour les années à venir, quand leurs vies respectives prendront fatalement des trajectoires diverses. La confirmation de ce qu’ils ont vécu ensemble. » (p.34)

Ainsi, vingt ans après cet achat coup de cœur, ce dernier y organise une grande fête pour son anniversaire. L’occasion est d’autant plus belle qu’une éclipse est annoncée cette nuit-là : la célébration en sera d’autant plus somptueuse et unique…

Pourtant, chaque membre de la bande d’amis semble redouter ces retrouvailles, et craint d’y amener ses tourments intimes : Clément et son spleen depuis qu’il peine à profiter de son statut de rentier ; Anaïs son épouse et son épuisement face à la charge mentale qu’elle supporte quotidiennement ; leur fils Milo aux prises avec une perverse amie ; Fred et sa fragilité héritée d’un drame passé ; Brune en pleine reconquête de sa vie amoureuse après avoir divorcé de Dimitri ; leur fille Lison et l’aveu difficile à faire à ses parents… Tout ce petit monde lutte intérieurement contre un démon présent ou un passé douloureux.

Alors, la réunion s’annonce-t-elle explosive ? Ou, au contraire, chaque membre de la bande va-t-il pouvoir compter sur l’affection des autres pour apaiser les sombres pensées ?

« Pourvu que ce saut dans le passé ne ravive pas trop de rancœurs. » (p.72)

De chapitre en chapitre, de personnage en personnage, on sonde un peu plus la psyché de chacun, riche d’une épaisseur romanesque (et dramatique) qui donne corps à un chœur amical sans doute un rien dissonant car polyphonique, mais mû par une harmonie affective.

Les sombres moments ne sauraient durer plus que le temps d’une éclipse : l’espoir reste donc de mise.

« Dire qu’ils vont être réunis, comme avant ou presque. Dire qu’ici, par à-coups, ils ont ri, mûri, se sont épanouis, aussi. A la fois pouls, baromètre et diapason de leurs existences, cette maison a assisté aux crises et aux réconciliations. C’est si émouvant, bouleversant, même. » (p.189)

Je salue de nouveau le talent narratif de Sophie Rouvier, autrefois nommée Sophie Henrionnet, chroniquée avec délice à l’occasion de son roman précédent Vous prendrez bien un dessert ?. Elle n’a pas son pareil pour conter les retrouvailles, que ce soit en famille ou entre amis. A chaque fois, on passe d’un personnage à un autre, stratégie littéraire futée pour ériger, chapitre après chapitre, la vaste scène romanesque sur laquelle la comédie comme le drame peuvent se jouer. C’est fin, subtil et délicieux : plus que jamais une écrivaine à suivre et aduler !


Comme une éclipse, Sophie ROUVIER, éditions FAYARD, 2022, 232 pages, 18€.

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