« Recherche femme parfaite », Anne Berest : cartographie de l’impossible ?

Fille d’artistes un rien fantasques, Émilienne est aujourd’hui photographe à Paris. Elle élève seule son fils Sylvain, tout en ayant gardé de bons rapports avec le père de ce dernier, Michel.

Émilienne est amie avec Julie, accessoirement sa voisine. Pour elle, un modèle d’accomplissement féminin : brillante, talentueuse, dévolue corps et âme à son métier et parfaite maîtresse de maison. Mais, à la naissance de son bébé, Julie s’écroule, littéralement : trop de pression pour être une femme et une mère parfaites a eu raison de sa force mentale.

« On nous demande d’être des femmes parfaites. Pour nous tuer à la tâche ! Nous devons être capables de prouesses dans tous les domaines de l’existence. […] Car non seulement nous devons désormais être performantes dans tous les domaines : travail, famille et couple. Non seulement nous devons avoir toutes ces qualités, mais il faut les posséder ad vitam aeternam ! » (p.32-33)

Et Émilienne de s’interroger : qu’est-ce que la femme parfaite ? Quelles cases faut-il cocher pour atteindre, si cela est réellement possible, cet idéal ? La jeune femme tient là le sujet idéal pour prétendre à exposer au prestigieux festival d’Arles : elle va se mettre en quête du portait de femmes parfaites. D’ailleurs, on notera ici que la perfection, si elle existe, n’est sans doute pas singulière mais plurielle. Son modus operandi : obtenir de chaque « modèle » le nom d’une femme qui, pour elle, est parfaite. Et nous d’ajouter que la perfection, si elle existe là encore, n’est pas forcément objective mais clairement subjective.

« Je prendrais en photographie des femmes admirables, des héroïnes du quotidien, des modèles pour leur entourage. Et à travers ces différents portraits, se dessinerait l’idée que la femme d’aujourd’hui veut donner d’elle-même – le portrait de la femme idéale. Mais j’en chercherais aussi la faille, la fragilité, le point de rupture. Je guetterais les signes de folie dans cette impossible quête de la perfection. » (p.37)

Quête et enquête : voilà Émilienne sur les routes pour collecter les clichés de ces femmes qu’on lui recommande. Le périple est rocambolesque et l’imprévu est continu, entre une jeune skateuse effrontée prise en stop au retour d’une rencontre en Loire-Atlantique auprès d’une médecin au secret honteux, et une intrigante d’une nuit dont notre héroïne s’entiche, ou encore une « Mademoiselle » au succès insolent après une certaine sextape footballistique… Ces entrevues sont hautement improbables et en même temps délicieusement savoureuses tant elles sont inédites.

Les figures féminines se superposent, s’enchaînent, se dédoublent, se redoublent, se répondent ou s’opposent, vaste toile qui tisse le portrait d’un gynécée insolite et pose la question suivante : à enchaîner les rencontres et les clichés, n’y a-t-il pas le constat qu’une femme ne peut répondre seule à l’exigence sociale de perfection ? N’est-ce pas souligner le joug qui pèse sur chaque femme, à lui imposer des critères multiples qui déshumanisent au final les prétendantes à la perfection ? On l’aura compris, la critique acerbe qui dénonce les diktats féminins est évidente, et le souffle féministe bienvenu. Quête et enquête : le cheminement d’Émilienne est aussi celui qui peut lui permettre de se révéler à elle-même, dans toute sa vérité à elle, sans doute pas parfaite. Et alors ?

« Des événements s’entrechoquaient les uns avec les autres, formant un mouvement qui semblait me mener quelque part. Mais où ? » (p.209)

Mesdames, rassurons-nous, et messieurs, mettez-vous bien cela en tête : il n’existe que de parfaites imperfections, et c’est déjà pas mal.

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Recherche femme parfaite, Anne BEREST, éditions GRASSET, 2015, 295 pages, 19€.