Dans ce roman lunaire, l’écriture des sentiments et des gestes glisse tel un ruban de soie d’une temporalité à une autre : on les effleure, on les devine, jamais on ne parvient à les figer totalement, complètement.
Au premier regard évoque quelques années de la vie d’une femme. Son nom, jamais il ne nous sera donné. Seul le nom de son mari, Ton, et ceux des personnages qui gravitent autour de lui, nous sont connus. Cette confidence patronymique sélective est un indice de ce que le personnage – narrateur, la femme de Ton, veut mettre en lumière : ce que fut sa courte vie de couple avec Ton. Comme si le reste ne méritait pas d’être nommé…
La jeune femme rencontre celui qui sera son futur mari presque par hasard. Leur relation est une évidence. Mais elle est aussi éphémère : moins de deux ans après leur mariage, Ton se suicide d’une balle dans la tête. Aucune explication. La veuve de Ton revient sur cette histoire d’amour, cette relation aussi intense que fugace, quasi avortée alors que le couple avait tout à vivre. Pourquoi avoir voulu mourir alors que l’avenir leur appartenait, planifié sur plusieurs années ? L’aimait-il réellement ? A-t-il voulu échapper à quelque chose, à autre chose, à quelqu’un ?
« Un homme très ordinaire, qui n’avait pas partagé plus d’un an et demi de ma vie, s’était, à la suite d’un coup de feu dans une serre, transformé en secret obsédant. » (p.80)
« J’étais amoureuse. Par mon amour, je ramenais mon mari mort à la vie. Était-ce si anormal, maintenant qu’il n’y avait plus rien en réserve, que je nourrisse le spectre mêmes propres émotions ? » (p.133)
Le récit de cette histoire de couple passée trouve son pendant dans la nouvelle relation que le personnage-narrateur vit au présent avec un autre homme, un nouvel homme, une possibilité. Une présence sans nom, sans réelle effusion, et pourtant rassurante : peut-elle aimer à nouveau ? Aimer la fera-t-elle nommer à nouveau ?
« Je savais que c’était terminé. Ton, mon guide silencieux dans une quête de rien, m’avait amenée au terminus. Jamais je ne saurais qui il avait été. Je n’étais pas sa veuve. » (p.143)
Histoire d’un deuil amoureux, questionnement sur la possibilité d’aimer à nouveau (différemment ? similairement ?), le récit de Margriet de Moor interroge sans fausse pudeur la temporalité de l’amour et ses agents, tiraillés entre fidélité au même et attraction du différent. La plume est délicate. Je regrette simplement l’anonymat des voix, ce qui peine à accrocher réellement au récit. Mais n’est-ce pas pour mieux se poser la question suivante : à quoi s’accrocher / se raccrocher quand on a aimé ?
Au premier regard, Margriet DE MOOR, traduit du néerlandais par Françoise Antoine, éditions Grasset, 2018, 150 p, 15€.
Roman gracieusement envoyé par le service-presse des éditions Grasset.