A dévorer !

« Instagrammable », Éliette Abécassis : et si je te « like », prends garde à toi…

La rentrée littéraire de janvier 2021 fait la part belle aux récits autour des réseaux sociaux, perçus notamment dans leurs aspects les plus dévastateurs. Après Les enfants sont rois, de Delphine de Vigan, Éliette Abécassis s’empare du sujet en faisant de son récit une réécriture des Liaisons dangereuses où les lettres sont remplacées par les stories et les posts d’Instagram. Résolument moderne, mais tout aussi dramatique et cruel que le roman épistolaire de Laclos au XVIIIème siècle.

Sacha est une jeune fille qui se noie dans la foule des élèves de son lycée. Solitaire, peu convaincue de ses atouts, elle cultive une discrétion qui pourtant ne désarme pas le beau Jules, figure populaire de l’établissement, pour l’approcher. Sauf que Jules est l’ex de l’ultra-populaire Jade, 750 000 abonnés à son compteur Instagram, influenceuse sponsorisée et croulant sous les cadeaux, à même pas dix-huit ans.

Ne supportant pas l’ombre d’une rivale, Jade demande à son meilleur ami et ex-petit copain Léo de séduire Sacha afin d’humilier Jules en érigeant une preuve de sa conquête. Résolument (et tristement) 2.0, un « nude », en l’occurrence. Léo, mû par l’aura de Jade et convaincu que sans elle il perdra nombre de ses abonnés, lui obéit.

« L’influenceuse ne peut tolérer d’avoir une rivale et encore moins d’être humiliée publiquement. Elle se sent trahie et offensée au plus profond d’elle-même. Sa e-réputation en souffre déjà, elle a perdu des abonnés, il faut réparer cet affront et laver son honneur sans tarder. » (p.26)

Mais, en vérité, son vrai désir de conquête est celui de la douce, belle, chaste et prude Emma, pour qui il est prêt à tout. Seulement, là encore, la venimeuse Jade n’est pas prête à se laisser voler la vedette dans le cœur déjà éconduit de ses anciens amours… Alors, à coups de stories et de posts, tout ce petit monde parvient à faire et à défaire des liens qui sont avant tout virtuels. Mais les rêves et les descentes aux enfers sont, eux, réels…

« Elle pourrait lui faire du mal, avec tous ses abonnés. Il suffit qu’elle fasse un post sur lui et sa réputation est faite, à jamais, d’une façon indélébile. Il la craint comme amie, mais il redoute plus que tout de l’avoir comme ennemie. » (p.134)

Le propos est court mais efficace : Eliette Abécassis dépeint à merveille cette génération d’adolescents biberonnés aux réseaux, qui vivent, mangent, dorment et pensent réseaux, sans aucune pause.

« Son seul intérêt, son point d’ancrage, son oxygène, sa nourriture spirituelle, son univers : c’est son téléphone. » (p.15)

De nouveau, l’addiction aux likes et à l’actualité (souvent vaine, reconnaissons-le) de monsieur-madame tout-le-monde comme des nantis de ce monde est vivement accusée et critiquée. En effet, on ne saurait que redire que c’est là passer à côté de sa vie. Ainsi, plusieurs passages d’Instagrammable résument à merveille cette urgence de saisir son écran pour prétendre « mieux » vivre la vie réelle : une fête lors de laquelle chacun filme tout le monde, un concert vu à travers un portable et non dans la fièvre du live. En d’autres termes, la nécessité de dire « J’y étais », comme pour garantir la légitimité de ce que l’on est, de qui l’on est.

« Tout est en double, en boucle, en réel et en virtuel à la fois, en images, et pourtant c’est là, elle ne sait plus à qui se fier dans cette stéréo numérique. » (p.111)

Bien évidemment, les ravages des réseaux sont évoqués : quand on croule sous les propositions, les cadeaux et que nul désir n’affleure, comme c’est le cas pour Jade, comment envisager son avenir ?

« Mon école, c’est Instagram. L’an prochain, je pourrai m’y consacrer pleinement et faire grandir ma communauté parce que j’aurai beaucoup plus de temps. » (p.72)

Quand les écrans deviennent outils vengeurs pour mettre à mal une réputation, comment se relever ? Quand les réseaux deviennent les avatars virtuels d’une identité que l’on aimerait avoir, comment construire de saines relations ?

Instagrammable est un petit brûlot littéraire à diffuser, tant pour sa portée critique que didactique.

« pourquoi regarder dehors ? A la terrasse des cafés, dans les trains, les bus, les métros, les gens contemplent leurs portables. » (p.122)

« Instagram a introduit de nouveaux standards qui modèlent les imaginaires selon des critères précis, les orientant de façon implacable selon des lois mystérieuses que tous respectent tacitement, sous peine de ne pas être instagrammable. » (p.147-148)

Et, bien évidemment, le propos est servi par la délectable plume d’Éliette Abécassis, que j’ai plaisir à retrouver, de roman en roman.


Instagrammable, Éliette ABECASSIS, éditions GRASSET, 2021, 178 pages, 17€.

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4 réflexions au sujet de “« Instagrammable », Éliette Abécassis : et si je te « like », prends garde à toi…”

  1. Je me désespère de voir ces jeunes happés par ce virtuel… et c’est inquiétant, ce nouveau monde qui se déshumanise. Ils vont devenir des robots téléguidés par deux ou trois tyrans qui dirigeront le monde ! C’est une vision plutôt noire qui me traverse l’esprit, mais qui sauvera le monde ???

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