A dévorer !

« Mrs March », Virginia Feito : folie douce

Mrs March est une riche Américaine à la vie oisive, habituée depuis son enfance à une certaine étiquette et à de vrais privilèges. Ayant épousé son ancien professeur d’université, brillant écrivain à la renommée internationale, point besoin pour elle de travailler. Alors, elle occupe son ennui par un train-train quotidien quelque peu insipide, entre déambulations pratico-pratiques et échappées mentales étranges.

Car Mrs March voit des choses. Des cafards dans sa salle de bain, aussitôt disparus. Un pigeon mort, dans la baignoire. Un tableau au motif inversé. Les voit-elle, ou les imagine-t-elle ? Réalité angoissante, ou inventivité débordante ? A cela s’ajoute une fascination mêlée de jalousie pour d’autres femmes, la poussant à un besoin d’identification perturbant, voire dérangeant. Aussi n’hésite-t-elle pas à voler tel accessoire à la dérobée à telle invitée, à acheter le même parfum ou une perruque pour ressembler à telle autre. Déroutant. Dérangeant…

Lorsque son mari George publie son nouveau livre, le succès est immédiat et, autour de Mrs March, on ne tarit pas d’éloges. Surtout, on la félicite d’avoir certainement inspiré le personnage principal.

« Mais n’est-ce pas la première fois qu’il s’inspire de vous pour créer un personnage ? » (p.15)

« – […] C’est un personnage de fiction !

– Alors pourquoi a-t-on l’impression qu’elle existe et moi pas ? » (p.78)

Mrs March devrait se sentir flattée… sauf que Johanna, la protagoniste, est une prostituée. Revirement instantané : Mrs March se prend à douter de son mari. Comment aurait-elle pu inspirer un tel personnage ? Quelle (piètre) vision a-t-il d’elle ? Le livre succès de son mari devient son cauchemar : les librairies alentour la narguent, les fans qui attendent au bas de leur immeuble la terrorisent…

Lorsqu’elle trouve une coupure de presse dans les affaires de son mari, cela achève Mrs March : il y est question du meurtre sauvage d’une jeune femme dans le Maine, trouvée par des chasseurs. Or, George et son éditeur y vont régulièrement pour chasser et passer quelques jours dans le chalet de ce dernier. Pur hasard ? Son mari pourrait-il avoir commis le pire ? Connaît-elle vraiment cet homme duquel elle s’éloigne progressivement ?

« Une certitude pesante, inébranlable, s’abattit sur elle : cet homme n’était pas George. Mais qui était-il ? Il y avait quelque chose d’étrange chez lui. C’était George – même visage, même gilet – et pourtant ses tripes disaient le contraire. » (p.221)

Quelle part de fiction régit la vie de Mrs March ? Quelle part de vérité y a-t-il dans l’œuvre de George March ? Imagination délirante pour l’une et pour l’autre ?

Dans une répétition des gestes et des jours, Virginia Feito donne à lire un quotidien qui se détraque progressivement.

« Elle vaquait à sa routine quotidienne, succession hébétée et interminable de marches glaciales » (p.224)

Par touche, par détail. L’état mental de Mrs March, élément central du récit, semble s’échapper par bouffées délirantes. Réalité fantasmée, bien souvent, qui l’amène à la parer d’un prisme déformant et, disons-le, inquiétant.

« Elle devait avoir rêvé tout ça. » (p.295)

L’enquête de l’épouse sur l’époux devient finalement le prétexte à un portrait de femme singulier, oscillant entre sincère empathie et effroi mesuré. Tout du long, Virginia Feito drape le quotidien de son héroïne d’un voile ouaté, qui camoufle des saillies délirantes de plus en plus récurrentes. L’atmosphère tient d’ailleurs presque de l’univers de David Lynch, c’est dire.

Dans tous les cas, un récit captivant, quasi-inclassable, que l’on ne peut oublier pour le personnage d’une anti-héroïne à bien des égards charismatique.


Mrs March, Virginia FEITO, traduit de l’anglais par Élodie Leplat, éditions du CHERCHE MIDI, 2022, 350 pages, 22€.

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