
Lorraine a décidé de vivre avec son mari Jérôme, après des années de déménagements successifs, dans une petite bourgade de Savoie, non loin de la Suisse. Là-bas, tandis que Lorraine jongle entre son petit Achille et son activité de correctrice, ils ont inscrit Gaspard, leur aîné Asperger, à la petite école privée Saint François, où ils espèrent un suivi optimal pour le profil atypique de leur fils.
Alors que l’année touche à sa fin, la fête de l’école est organisée. Lorraine se voit contrainte d’y aller, mais la perspective de frayer parmi les « Terminators », ces super-mamans à la carrière florissante et à la vie opulente, la rebute. Même si la cordialité est de mise, Lorraine a le sentiment d’évoluer dans un panier de crabes : tout se passe comme s’il fallait nourrir à dessein chaque relation. Elle, la végétarienne en quête de franchise, d’honnêteté et de sincérité, ne s’y retrouve pas. Mais c’est la joie de Gaspard qui compte, alors, vaille que vaille…
Or, le soir, alors que la fête est bien avancée, un différend oppose Gaspard à l’une de ses petites camarades. Le père de cette dernière s’en mêle et provoque Lorraine, qui décide de couper court. Seulement, quelques heures après, alors qu’il croyait « corriger » Gaspard en train de jouer dans le bac à sable, le père commet une méprise et moleste un autre gamin.
« Lorraine, j’ai vu ce qu’il a fait à Vassili. Je n’ose pas imaginer jusqu’où il serait allé s’il avait trouvé Gaspard. Il était hors de contrôle. Il voulait faire la peau à votre gamin. » (p.88)
Bien évidemment, l’affaire est montée en épingle et les rangs se divisent entre les parents et au cœur même de l’administration. Lorraine, qui veut acculer le coupable, est rapidement écœurée par les manœuvres des uns et des autres pour innocenter le père de famille. Pire, elle devient le bouc-émissaire de l’affaire tandis que l’enfant molesté est changé d’école. Et Lorraine de hurler : l’innocent est banni tandis que le coupable reste à siéger, quelle ironie !
« Comment combattre une rumeur ? Notre ennemi n’a pas de visage, ou peut-être en a-t-il trop. » (p.239)
Cet incident est-il le prétexte pour mettre au ban de l’école Lorraine et Jérôme ? Quels sinistres jeux de pouvoir régissent la cour d’école des adultes ? Et les enfants dans tout cela ?
Des vacances auprès des siens en Lorraine s’annoncent comme une échappée salvatrice. Là-bas, la mère de famille quarantenaire y retrouve ses parents vieillissants, Dadou et Chicha, sa sœur Camille et son frère Gilles, ainsi que ses neveux et nièces. Seule manque Christelle, l’aînée qui s’est brouillée avec sa mère par le passé.
La joie de se retrouver tous ensemble demeure de façade. Certes, on se livre à des activités en famille plaisantes, telles des promenades, des matchs de tennis, un grand rangement de la cave au grenier pour épargner les aînés. Mais les fissures apparaissent progressivement autour de Lorraine : on perçoit que sa relation avec sa mère est tendue et fragile. La rancœur sourd et l’avenir des plus jeunes est l’occasion de prendre les échecs du passé de Lorraine comme contre-points. Sympathique… Et la tension de monter crescendo, jusqu’à ce que la fille se heurte à sa mère et fasse éclater les faux-semblants.
« Il faudrait pouvoir raconter cette histoire gentiment, sans blesser ni accuser personne – mais avec quels mots alors ? Il s’agit d’un avenir brisé. Il s’agit de maltraitance. Il s’agit de parents qui abandonnent leur enfant, de toute une famille qui abandonne un enfant. » (p.295)
De mère protectrice, Lorraine se mue en enfant hurlante du drame de son adolescence que jamais sa mère Chicha n’a assumé. Un revirement inattendu, une dualité déchirante, qui questionne sur la façon dont nous nous construisons comme parents sur les cendres ou les braises de notre enfance…
« Mais pas de rédemption possible dans ma famille […]. Ici le temps s’est arrêté sur mes échecs. Poupette ratée à perpétuité. » (p.203)
Le dénouement fait éclater les non-dits, et même plus encore. Et le lecteur de s’interroger : peut-on pardonner aux parents de Lorraine leur aveuglement ? Ont-ils des circonstances atténuantes ? Quelle part d’égoïsme y a-t-il parfois dans les parents ? Comment se construire en tant qu’enfant lorsque les parents ne donnent pas tout ? La résilience est-elle la grande affaire de toute vie d’adulte au regard de son enfance ?
« On taille son enfant aux dimensions qu’on s’est autorisé à avoir. » (p.195)
Les problématiques du premier roman de Marion Bello sont extrêmement riches. Cependant, je dois avouer que j’ai hésité quant à mon appréciation du récit. En effet, le roman s’étire littéralement dans des scènes très détaillées qui ne présentent guère d’actions. Et de nous questionner : où l’auteur veut-elle en venir ? Pourquoi délayer l’incident à l’école sur cent pages ? Pourquoi étirer les journées en famille au contenu prosaïque ? J’ai failli abandonner ma lecture, et pourtant quelque chose m’a incitée à tenir bon : une tension palpable sans doute, ténue mais pourtant présente. Et la suite du roman ne m’a pas trompée : l’évidence se fait après la moitié du récit. Alors on comprend les enjeux narratifs et thématiques, ces derniers étant très riches. C’est donc la construction du roman qui peut freiner. Néanmoins, aucun regret d’avoir persisté : je suis conquise par l’intelligence de la réflexion sur le rapport parents-enfants, malgré un socle narratif pouvant apparaître comme bancal.
Et vous, comment vous êtes-vous construits par rapport à vos parents ? Et comment vous êtes-vous construits à votre tour comme parents ?
Des excuses pour les chiens, Marion BELLO, éditions BELFOND, 2022, 317 pages, 19€.
Un immense merci aux éditions Belfond pour l’envoi gracieux de ce roman.