Clara est à un tournant de sa vie. A presque 30 ans, elle souhaite fonder une famille avec son compagnon, Nicolas, et évoluer professionnellement. Il faut dire que jusque là, tout a souri à Clara, certes au prix d’un travail acharné mais indubitablement payant : Sciences Po, HEC… Elle qui a toujours brillamment réussi ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Logique.
Alors, lorsque l’influente Dominique Passerant, à la réputation solidement établie dans le microcosme parisien, la contacte pour lui proposer de travailler pour elle afin de monter une société de recrutement de femmes d’affaires influentes, Clara comprend que c’est une opportunité en or.
« Cette aventure entrepreneuriale, avec une féministe au bras long, est une opportunité qui ne se refuse pas. Alors, allons-y ! » (p.35)
Enthousiaste, elle accepte sans trop tergiverser le poste et se lance corps et âme dans le travail pour satisfaire les exigences, nombreuses, de « Do ». Il faut dire que cette dernière sollicite Clara à toute heure du jour et de la nuit par mails ou par textos : elle attend bien évidemment en retour une satisfaction immédiate de ses desiderata.
« Il faut cesser de se plaindre ! Toujours dire oui quand Dominique formule une demande. Accepter d’endosser tous les rôles, me réinventer en permanence, repousser mes limites. Toujours me rendre disponible. Accepter les réunions à l’heure du petit déjeuner et celles à l’heure du dîner. Répondre aux mails dès le réveil, le plus tard possible dans la nuit, et le week-end aussi. » (p.91)
Clara perçoit bien, et assez rapidement d’ailleurs, que la cadence menée par sa patronne n’est pas forcément de bon augure. De même, si « Madame » l’entoure d’une bienveillance exagérée lorsqu’elle a besoin d’elle, Clara est très sensible au ton glacial et aux pirouettes prétextées par Dominique Passerant lorsque cette dernière se retrouve à son tour sollicitée par son employée. Néanmoins, la jeune femme préfère ignorer les avertissements ponctuels que quelques désagréables anecdotes professionnelles lui fournissent…
« J’ai l’impression fugace que quelque chose cloche… » (p.28)
« Dominique ne veut pas mon bien. Ce soir, j’ai le sentiment de n’être qu’un objet corvéable à merci, sans limite de temps ni d’espace, au service des seules ambitions de Madame. Clara rapporte de l’argent ; Clara mène mène à bien son projet ; Clara est docile, facile, conciliante. En même temps, Clara est l’employée de Madame, et ça, je ne dois pas l’oublier ! » (p.117)
Il faut dire aussi que, du point de vue de sa vie personnelle, Clara a fort à faire avec Nicolas. Follement éprise de lui, elle lui pardonne presque aveuglement son immaturité : séducteur et fêtard, le jeune homme ne parvient pas à se fixer un objectif professionnel qui tienne la route et il écume les soirées jusqu’à pas d’heure. Vivant totalement aux crochets de Clara, Nicolas peut-il réaliser le désir de Clara : faire un enfant et fonder, enfin, leur foyer ?
« Je sais bien que Nicolas n’est ni le mari ni le père idéal (en tout cas pour mes parents). Sans emploi fixe pour le moment, il mène une vie oisive et sort tous les soirs. J’espère toutefois secrètement que mon homme saura mûrir le jour où il deviendra père : comment pourrait-il en être autrement ? La paternité lui donnera des responsabilités qu’il sera bien contraint d’assumer. » (p.21)
Au final, Clara peut-elle mener de front une carrière professionnelle exigeante et sa vie de femme quelque peu chaotique ?
Madame est le récit des cinq années de la vie d’une femme à un tournant de sa vie professionnelle et personnelle. Dans les deux cas, Clara souffre clairement d’une relation de dépendance : elle est abusée par la relation toxique et malsaine qu’a instaurée sa patronne avec elle et par l’inconséquence de son compagnon. Totalement soumise à l’un et à l’autre, peut-elle prétendre briser les entraves qui la font s’étioler chaque jour un peu plus ?
Alix Laine signe un roman profond qui propose une réflexion aboutie sur la femme moderne à la volonté affirmée de gravir les échelons et de tout concilier. Le burn-out guette, c’est une évidence : la charge mentale qui incombe à Clara peut-elle la faire trébucher ?
« Les nuits passent, et je gobe tout. Mais l’indigestion, latente, menace. » (p.177)
Avec Madame, Alix Laine propose également un certain regard sur la réalité des mécanismes de l’entreprise au féminin : une vaste fosse aux lionnes dans laquelle le risque de se faire dévorer est élevé.
« Mais l’emprise de Dominique et son ascendant naturel sont tels que j’accède sans sourciller à toutes ses requêtes. » (p.241)
Vous l’aurez compris, j’ai adoré et dévoré ce roman, brillamment réussi !
Madame, Alix LAINE, éditions du Cherche Midi, 2019, 247 pages, 18€.
Waouh ! ton analyse est très prometteuse… la pauvre, elle n’a rien vu venir… comme beaucoup d’entre nous, aveuglées par tel ou tel sentiment ou manque… Ma liste va s’allonger !!! 🙂
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Tu verras : ce livre se dévore !!!! Clara est littéralement manipulée. Tellement réel comme cas. Je ne suis donc pas économique en liste de lectures 🤓😋 !
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